Préface à l’essai « Voulons-nous vraiment des enfants forts et en bonne santé ? » de Jesper Juul

Par David Dutarte, mai 2014

Les pays nordiques font depuis très longtemps figure de pays modèles dans de nombreux domaines, en particulier en matière de politiques éducatives, familiales et sociales. De vrais efforts y ont été faits ces 50 dernières années pour mettre l’enfant en tant que sujet au centre des réflexions. Des mesures ont été prises visant à renforcer les droits des enfants comme à donner aux parents la possibilité de pouvoir accueillir leurs enfants et les accompagner dans de bonnes conditions. Le congé parental partagé, rémunéré et de longue durée est un exemple bien connu. La suppression du « droit de correction » et l’inscription dans la loi de l’interdiction de toute forme de violence, physique et psychologique, envers les enfants, en sont d’autres tout aussi importants. Rien d’étonnant à ce qu’on en parle aujourd’hui comme de pays où il fait bon vivre et, mieux encore, où il fait bon grandir.

Il faut cependant garder à l’esprit que ces choix ont été faits à une période durant laquelle l’autoritarisme s’est vu sérieusement questionné tandis que le socle des valeurs traditionnelles sur lequel s’appuyaient les individus pour s’affirmer s’est peu à peu effondré. Deux signes d’une évolution globale de nos sociétés occidentales vers plus de respect et de liberté pour les individus.

C’est dans ce contexte que Jesper Juul, thérapeute familial danois, a publié, en 1995, un ouvrage intitulé Regarde… ton enfant est compétent, dans lequel il invite les adultes à considérer les enfants comme des êtres compétents et à se positionner dans la relation aux enfants de manière respectueuse et responsable. Cet ouvrage a été chaleureusement accueilli par de nombreux parents et professionnels.

J’ai longtemps cru que le regard qu’il porte sur les relations humaines était spécifique à la culture nordique et que nous autres, latins, étions tout simplement différents. La culture a certes une grande influence sur nos manières de vivre. Les douze années que j’ai vécues en Scandinavie et qui ont largement influencé le regard que je porte moi-même sur les relations humaines aujourd’hui en sont une preuve. D’un point de vue existentiel, nous sommes pourtant tout simplement identiques. Nous avons les mêmes besoins de reconnaissance, d’être pris au sérieux, de ressentir que nous avons de la valeur aux yeux de ceux qui nous sont proches, d’être traités avec dignité, et ce dès la naissance.

 » LES ENFANTS SONT COMPÉTENTS ET ONT BESOIN D’ÊTRE TRAITÉS AVEC DIGNITÉ POUR POUVOIR S’ÉPANOUIR PLEINEMENT !  » J. Juul

Considérer l’enfant comme un être compétent, capable de contribuer comme partenaire égal au dialogue, tout en se positionnant comme adulte respectueux et responsable n’est toutefois pas chose simple. Cela implique que nous soyons prêts à écouter et observer attentivement les enfants, à prendre leurs réactions au sérieux, à reconnaître leurs compétences et à leur faire profondément confiance. Cela signifie aussi qu’il nous faut nous-mêmes nous écouter attentivement, nous prendre nous-mêmes au sérieux, nous faire nous-mêmes confiance, toutes choses auxquelles notre propre éducation ne nous a nullement préparés. Nous étions cependant nous aussi des enfants compétents ! Et nous pouvons donc recouvrer nos compétences pour autant que nous soyons prêts à apprendre des enfants autant, sinon plus, que nous ne pouvons leur apprendre. L’éducation des enfants n’est plus une double voie à sens unique mais bien un chemin où les apprentissages se font de manière réciproque.

Devenir parent, au-delà d’être un processus physique éprouvant, est aussi un processus cognitif et émotionnel. Chacun sait qu’être parent ne s’apprend pas dans les livres et ne peut se limiter à cela, aussi indispensables et enrichissantes que puissent être ces lectures aujourd’hui. C’est avant tout un apprentissage de tous les jours. Voilà pourquoi Jesper Juul nous propose de nous tourner les uns vers les autres au sein de nos familles pour nous enrichir de ce que nous vivons personnellement au quotidien dans la relation à nos enfants et à nos proches, plutôt que d’aller chercher à l’extérieur des techniques ou méthodes d’éducation.

Cette invitation à transformer nous-mêmes la dynamique de nos relations familiales est à la fois une évidence tout en étant vraiment révolutionnaire. C’est une évidence car nous, parents, sommes ceux qui connaissons le mieux nos enfants et, par conséquent, ceux qui ont la meilleure possibilité de faire s’épanouir les relations dans le cercle familial. C’est aussi vraiment révolutionnaire, car en nous incitant à quitter l’axe « autoritarisme – laisser-faire » pour avancer sur une nouvelle voie, notre propre voie, en nous invitant à nous faire confiance tout en suggérant des valeurs fondamentales sur lesquelles nous appuyer, il nous donne les clés pour assumer, de manière respectueuse, l’ascendant sur nos enfants comme la responsabilité de la qualité des relations familiales.

Sur cette voie, partant de là où nous en sommes de notre propre cheminement personnel, nous pouvons retrouver nos propres compétences tout en favorisant l’épanouissement de celles de nos enfants. Nous nourrissons l’estime de soi de nos enfants et renforçons la nôtre. Nous développons ensemble notre empathie les uns envers les autres et nous participons, ainsi, à la construction d’une culture où les adultes comme les jeunes s’épanouissent et sont acteurs de leurs propres vies.

« JESPER JUUL EST L’UN DES DOUZE PENSEURS, PIONNIERS ET VISIONNAIRES LES PLUS IMPORTANTS DE NOTRE ÉPOQUE. » Die  Zeit

Le regard novateur de Jesper Juul sur les relations adulte-enfant a très vite intéressé de nombreux parents et de nombreux professionnels de la petite enfance, de l’éducation et de la santé au Danemark et en Scandinavie. Au travers de ces nombreux ouvrages et interventions publiques, il a façonné, comme nul autre dans ces pays, le débat sur l’éducation des enfants ces vingt dernières années.

Devenu incontournable dans les pays nordiques d’abord, Jesper Juul l’est devenu ensuite en quelques années en Allemagne et en Europe centrale où son discours et ses ouvrages ont également reçu un accueil très favorable.

Récemment, il participé à la définition, la mise en place et au lancement d’un des plus ambitieux projets européens en matière d’éducation et de santé pour les enfants et les jeunes : Learning for well-being (trad. Apprendre pour le bien-être). Ce programme vise à promouvoir un changement de regard sur les enfants, un changement de regard sur les apprentissages, un changement de regard sur l’éducation et sur la santé. Une charte des enfants 2030 a également été rédigée dans le cadre de ce programme ; elle est le refl et direct de sa pensée.

En 2012, Jesper Juul a enfin été sélectionné et honoré Entrepreneur social innovant par la fondation Ashoka, qui met en avant à travers le monde des personnalités reconnues comme porteuses d’idées novatrices et favorables au changement sociétal durable et ô combien nécessaire sur notre planète aujourd’hui.

QUE VOULONS-NOUS VRAIMENT POUR NOUS-MÊMES ET POUR NOS ENFANTS ?

Parce qu’il nous encourage à inventer et expérimenter de nouvelles manières d’être en relation à nous-mêmes, aux enfants, à notre partenaire et aux autres en général, Jesper Juul a fondé Familylab – le laboratoire des familles – un organisme de conseil, actif dans une quinzaine de pays, par le biais duquel il a inspiré de nombreux parents et formé de nombreux professionnels de la petite enfance, de l’éducation et de la santé.

Étant depuis quelque temps moi-même responsable Familylab France, je suis en contact privilégié avec Jesper Juul, et j’ai eu la chance de découvrir avant tout le monde ce Voulons-nous vraiment des enfants forts et en bonne santé ? J’ai espoir en le traduisant qu’il permette qu’on s’intéresse vraiment à la condition des enfants dans notre pays aujourd’hui.

Peut-être certains se sentiront-ils coupables en le lisant ? Ce n’est absolument pas le propos de Jesper Juul et c’est un sentiment qui, comme tout sentiment, est personnel, et donc appartiendra au lecteur, tout comme la joie que d’autres éprouveront à sa lecture. Simplement, il me semble que la force de cet essai est de nous faire nous interroger profondément sur ce que nous voulons pour nos enfants et pour nous-mêmes, comme de nous inciter à assumer notre propre responsabilité.

Ces dix dernières années, en France, nous nous sommes plus intéressés au statut pénal des enfants qu’à leurs droits en tant que sujet. Nous avons jugé futiles les propositions de loi visant à interdire les châtiments corporels et à protéger les enfants contre toute forme de violence. Nous nous sommes querellés et continuons de le faire sur les rythmes scolaires, quand les véritables réformes devraient être menées sur la formation des enseignants et de tous les professionnels de l’éducation. Nombreux sont les sujets sur lesquels de vrais efforts sont à faire pour le bien-être des enfants, sans que cela ne soit pour autant néfaste aux adultes ni à la société, bien au contraire.

Nous sommes aujourd’hui de plus en plus nombreux, parents, professionnels et responsables politiques, à vouloir reconnaître enfin de vrais droits aux enfants et à vouloir en pratique les accompagner dans le respect de leur intégrité. Nous sommes de plus en plus nombreux aussi à réclamer un vrai débat de fond sur le statut de l’enfant en tant que sujet, et non pas objet, dans notre société.

J’espère que la lecture de cet essai et des ouvrages de Jesper Juulqui seront prochainement publiés dans la collection « Des liens pour s’épanouir », seront source d’inspiration personnelle pour de nombreux parents et professionnels, et contribueront pleinement à donner aux enfants une voix plus forte dans notre pays.

Strasbourg, mai 2014
David DUTARTE
Traducteur
Responsable Familylab France